Les Sushis
J’adore le poisson cru sous toutes ses formes, que ce soit en tartare, en carpaccio ou encore et surtout en sushi. J’aime tellement en manger qu’entre 2010 et 2015, je pense avoir réussi à manger dans plus des deux tiers des restaurants de sushis le long du lac entre Montreux et Genève.
Dans cet article qui va être passablement long, je vais partager avec vous des connaissances, des astuces, et des outils pour que vous puissiez mieux comprendre un restaurant de sushis, l’analyser, et en tirer vos propres conclusions.
Il s’agit d’une analyse personnelle basée sur mes expériences vécues depuis 2004 en tant que client, employé ou gérant de restaurants de sushis à travers la suisse romande, principalement sur Vaud, Genève et parfois aussi en France, à Paris ou à Lyon.
Un sushi, c’est quoi ?
Un sushi, c’est du riz vinaigré (shari) accompagné d’une garniture (neta). La catégorie sushi englobe le nigiri (quenelle), le gunkan, le maki (rouleau), le uramaki (inside-out ou maki inversé), le temaki (cornet), le chirashi (sur lit de riz) et d’autres formes comme le futomaki, le temari (balle) ou le battera (pressé). Le sashimi est une catégorie à part, d’où les termes différents « sushi” et “sashimi ».
La mode des sushis
La mode des sushis est un peu dépassée. C’est toujours d’actualité, mais la grosse vague était dans les années 2010 avec énormément de nouveaux établissements, ces dernières années ont plus été ponctuées par des changements de propriétaires et des fermetures. Malgré cela, les sushis restent populaires.
Si le développement des sushis à Lausanne s’est ralenti, je remarque que sur Genève, c’est plutôt le contraire. Je suppose que cela s’explique par une clientèle plus internationale et un niveau de vie plus élevé.
L’engouement pour les sushis est notamment dû à sa démocratisation, à son côté exotique, à l’aspect “santé” qui veut que “le poisson c’est bon et sain », et à un mode de vie durable qui préconise qu’il faille manger moins de viande. Cette forte demande des consommateurs a constitué une aubaine pour les restaurateurs qui ont massivement ouvert des établissements, car le business des sushis est très rentable et à la portée de tous ou presque.
Les sushis, c’est facile
Savoir faire de « bons » sushis requiert du savoir, de la technique et du temps.
Avec un peu de pratique, faire des sushis « acceptables » est relativement facile, ça passe crème, Il suffit de lire les notes et les commentaires sur Google, beaucoup de clients ne veulent pas payer plus pour des bons sushis, mais préfèrent payer moins pour des sushis moyens et c’est malheureusement la majorité de l’offre présente sur le marché.
Le minimum de prérequis pour faire des sushis, c’est grosso modo 1) cuire du riz, 2) travailler le saumon, le thon, le concombre et l’avocat, et 3) façonner le riz plus ou moins correctement.
Ainsi, en ne travaillant que les quatre produits frais cités plus haut, et en utilisant des garnitures qui peuvent s’acheter « prêtes à l’emploi » et surtout en « topping », nous avons donc, même avec peu d’expérience, de quoi ouvrir un restaurant basique de sushis et les établissements de ce genre ont été très nombreux à ouvrir, mais aussi beaucoup à fermer. Faire des sushis est une chose, savoir gérer un restaurant est une autre.
Produits « prêts à l’emploi » et « topping »
La liste de ces produits est très longue, mais on pourrait citer l’omelette japonais (tamago), le radis mariné (takuan), la gourde séchée (kampyo), les oeufs de saumon (ikura), ceux de poisson volants (tobiko), le poulpe (tako), la seiche (ika), le tilapia (izumidai), le maquereau (saba), l’anguille (unagi), les crevettes cuites (ebi), ou douces (amaebi), l’oursin (uni), la palourde (hokigai), la Saint-jacques (hotate), le crabe (kani), le tofu (inari) et le surimi, et je vous parle même pas des autres composants de la carte que sont les raviolis (gyoza), brochettes (yakitoris) ou encore salades d’algues (wakame).
En exemple : bloc d’omelette japonaise, poulpe et tilapia en tranches.



Je remarque que le tilapia ressemble visuellement beaucoup à la daurade. J’avoue que je n’en sais rien au niveau du goût car je n’en ai jamais acheté, ni mangé et encore moins vu à la carte. J’espère que personne n’a eu l’idée de le faire passer pour de la daurade.
Même si l’on peut regretter l’absence de préparation et l’aspect “prêt à consommer », j’en consomme néanmoins quelques-uns de ces produits. Il s’agit de l’oursin, des œufs de saumon et de l’anguille, mais cette dernière uniquement en filet entier et non déjà tranchée. Hasard ou pas, ils font partie des produits les plus onéreux à l’achat.
Attention, l’utilisation de ce genre de produits n’est pas « mauvais », je déplore simplement le manque de franchise de certains établissements. En outre, un chef travaillant seul ne peut pas tout préparer lui-même, surtout lorsque les facteurs temps et coûts entrent en ligne de compte. Il convient cependant d’être conscient de ce que l’on choisit de manger.
Savoir faire la différence
Prenons l’exemple de l’omelette qui est facilement différenciable.
Industrielle, elle est de couleur jaune vif et uni, présente une texture homogène et dense, offre un goût très sucré, et son extérieur est parfois coloré en fonctionde la marque.
Faite maison, elle est d’un jaune moins vif avec des nuances brunes et blanches, elle offre une texture « mille-feuille » et spongieuse, et sa saveur est douce mais beaucoup moins sucrée que la version industrielle.
Attention, je ne connais pas toutes les marques industrielles, et certaines peuvent ressembler à du “fait maison”, tandis que les omelettes de certains chefs peuvent avoir un aspect industriel. Dans ces cas-là, il convient goûter.


Pour l’anguille, c’est déjà un peu plus complexe.
Plus difficile à différencier, mais facile à voir lorsqu’elle est tranchée perpendiculairement ou en diagonale à partir d’un filet entier. Lorsqu’elle est coupée en biais, c’est moins évident, et seule l’épaisseur pourra vous aider à faire la différence.





Surimi n’est pas crabe
Volontairement ou pas, de nombreux restaurants proposent du surimi alors qu’ils écrivent bien crabe. Le surimi est en réalité de la chair de poisson avec des arômes de crabe.
Il faut bien avouer que sur une carte le mot “crabe” est plus vendeur que “surimi”. En outre, c’est un produit que beaucoup de gens aiment manger car son goût est plutôt agréable, mais c’est surtout réjouissant pour les restaurateurs puisqu’un 1 kilo de surimi ne coûte que 6.80 chf. contre 60 chf. le kilo pour du crabe. (prix d’un fournisseur en juin 2021)
Donc, ignorance des restaurants ? des clients ? ou arnaque volontaire ?



Le cadre
C’est souvent le premier élément que l’on découvre lorsque nous arrivons dans un nouvel établissement.
Pour simplifier, en Suisse, en Europe, la majorité des restaurants ou take away de sushis peuvent, dans les grandes lignes, être classés en trois catégories : ceux tenus par des Japonais, ceux par des Chinois et ceux par des hôtels. Il existe à l’évidence d’autres cas de figure mais je ne peux citer ici toutes les possibilités, car il s’agit d’un article, et non d’un livre. J’en appelle à votre indulgence.
Les Japonais ou passionnés optent habituellement pour un cadre simple, austère, une luminosité travaillée, du mobilier en bois, des tables brutes avec un dressage sobre. Les décorations sont peu nombreuses, à l’instar peintures, bouteilles de whisky ou saké, les menus sont simples, que du texte, bien écrit.
Les non-japonais, majoritairement Chinois, aiment les décors déjà plus fournis avec des petites poupées japonaises ou des statues de chats porte-bonheur qui les apparentent à des boutiques souvenirs, sans oublier les sets de table en papier ou plastique, ou encore les sempiternelles lanternes rouges et noires. Les menus sont souvent illustrés avec des images pas toujours bien faites, il y a des fautes d’orthographe, parfois des traductions pas très correctes ou alors rigolotes. Enfin, si vous observez la présence de caractères chinois et non de kanjis, il n’y a plus de doute.
Les restaurants d’hôtel ressemblent souvent au style japonais cité plus haut, mais ils sont généralement plus contemporains, modernes, chics, plus occidentaux, faussement épurés et offrent un certain standing.




La carte
La carte peut en dire beaucoup, surtout la diversité des garnitures concernant les capacités ou la motivation du chef.
Personnellement, je me fie beaucoup à la carte, les prix moins, l’emplacement encore mois. Il est peu probable de savoir à la lecture si l’omelette, la seiche ou le poulpe sont des « toppings » ou du « fait maison », sauf si vous avez de l’expérience, mais la meilleure confirmation, reste de goûter et encore, il faut encore savoir la différence.
Quand les poissons ne se limitent pas qu’au thon et au saumon, c’est déjà un bon point. Le plus souvent, les poissons suivants sont : la daurade, le loup de mer ou la sériole.
Si l’établissement propose les cinq poissons cités plus haut, c’est déjà un très bon début. Après, il se peut qu’ils servent du thon rouge (tunnus thynnus) et du thon gras. Le top du top, c’est quand le chef prépare lui-même l’omelette, la seiche, le poulpe ou le maquereau. Parmi ces produits « topping », c’est toujours l’omelette qui sera faite maison en premier car le reste est moins prisé par la clientèle et les restaurants ne veulent pas investir du temps ni de l’argent dans des produits peu rentables. En surgelé, c’est moins risqué.
Inutile de dire que si vous avez des produits de luxe ou rares comme le wagyu, le caviar ou le thon gras, vous vous trouvez probablement dans un bon restaurant. Cependant, même ces produits commencent à se généraliser, mais faut-il encore savoir bien les préprarer.
Le prix
Le prix est le dernier critère et peut-être le plus important pour évaluer la qualité du restaurant. Les bons produits, le personnel, les chefs qualifiés coûtent cher, il faut surtout du temps pour préparer la multitude de composants nécessaires à l’élaboration des sushis : poissons, sauces, riz, garnitures, décorations, etc. … et tout le monde le sait : le temps, c’est de l’argent.
La restauration, c’est comme une équation, il doit y avoir un certain équilibre. On ne peut avoir une prestation de qualité pour un prix trop bas, et si on paie le prix fort pour une mauvaise prestation, on se fait avoir. Dans les deux cas, il y a un souci quelque part.
Alors certes, jouer sur le marketing pour faire cracher de l’oseille à des clients aisés en échange de nourriture moyenne, ce n’est pas très moral. Mais ce n’est pas interdit : si acheteurs il y a, pourquoi les vendeurs s’en priveraient-ils ?
Les poissons
Les chefs qui travaillent de manière traditionnelle préparent eux-mêmes les poissons pour maximiser leur fraîcheur. Moins ils sont manipulés, mieux c’est. Les chefs les plus pointilleux les reçoivent bruts, c’est-à-dire, entiers, non écaillés et non vidés.
Préparer les poissons eux-mêmes est aussi un gage de qualité car ils peuvent prendre plus de temps par rapport à un employé chez un fournisseur qui, lui, est soumis à des contraintes horaires, de cadence ou de quantité.
En outre, après avoir écaillé, lavé et vidé les poissons, il convient encore de lever les filets, de les portionner, les emballer et les stocker correctement sans omettre leur étiquetage (nom, date, etc). Car oui, faute de quoi, on risque au mieux un rappel à l’ordre par le service d’hygiène en cas de contrôle.
N’oublions pas non plus que sur un poisson entier, tout ne s’utilise pas. Sur un thon entier, il faut compter au moins 50% de parties non utilisables dont la tête, la peau, les nageoires, etc. Imaginez un thon rouge entier de 200 kg. à 40 frs le kilo (8’000 frs), il restera 100 kilos vendables qui auront coûté 80 frs le kilo.
Tout ceci demande beaucoup de temps, et cela explique, entre autres, pourquoi un restaurant de sushis traditionnel requiert un certain prix.
La forme
Selon moi, et j’insiste sur le fait qu’il ne s’agit que de ma vision personnelle, un nigiri doit être petit et léger, de forme allongée, pas trop haut ni trop large, avec une tranche de poisson qui épouse harmonieusement la forme du riz.
Le riz doit avoir une bonne tenue, il ne doit pas s’écrouler lors de la manipulation mais ne doit pas non plus être trop compacté, trop dense. Là se joue le savoir-faire du chef, le « assez sans l’être trop ».
Parmi les nigiris, font office d’exception ceux aux œufs de saumon (ikura gunkan), à l’omelette ou à l’anguille qui ont une bande d’algue séchée. Dans ces cas-là, la forme du riz peut, être différente.
Combien de fois ai-je vu ou entendu des clients se plaindre que le riz ne tenait pas alors qu’ils trempaient allègrement leur nigiri dans la sauce soja ! Dans ces cas-là, même une boule de riz tenue avec du scotch ou de la colle n’aurait pas conservé longtemps son intégrité.
La sauce soja doit apporter une petite touche supplémentaire à l’image du sel ou du poivre. Quand je mange une entrecôte, je ne la roule pas dans le sel ! Non mais oh !






Poisson congelé, la législation.
La loi sur l’hygiène alimentaire exige que tout poisson, coquillage ou crustacé destiné à être consommé cru doit être congelé au préalable à -20°C durant 24 heures au minimum. Alors, ne soyez pas médisant de voir un chef sortir du poisson d’un congélateur.
Pour les curieux, il s’agit de l’article 42 de l’ordonnance du DFI sur l’hygiène des denrées alimentaires (OHyg).
Point final.
De mon expérience, les restaurants de sushis tenus par des Japonais ou un hôtel sont rarement décevants et sont souvent bons et chers, tandis que ceux gérés par des chinois, sont globalement plus moyens et abordables. Vous aurez parfois une bonne surprise, mais la plupart n’offrent le plus souvent qu’une qualité « acceptable » pour ne pas être trop méchant.
Un restaurant “tendance” à la belle décoration ne sert pas forcément de bons sushis.
En outre, un prix élevé n’est pas forcément un gage de qualité.
Quand c’est trop bon marché, il ne faut pas se montrer trop exigeant car la qualité à un certain prix.
Un choix trop important ou au contraire fortement restreint n’est pas forcément mauvais signe, mais il faut tenir compte d’autres critères.
L’important est de manger avec plaisir et d’être satisfait de ce que l’on mange, peu importe qu’ils soient « bien » faits.
Bonus
Parce que j’adore les sushis et les chiffres, faisons quelques statistiques :
Recensement des sushis sur Lausanne et environs par ordre alphabétique. Il se peut que j’en oublie mais pas beaucoup. Je ne compte que les restaurants et les take away, les supermarchés ne sont pas pris en compte. (migros, manor, coop, globus).
Lausanne (31) : Aki, Duo thaï, Gambatte, Hokaido, Isshin Sushi, Kanten, Kazoku, Kotchi, Kotchi Cité, Marterey 56, Miyako, Myo, Neki Sushi, Oniwa, Shangri-la, Sosushi, Sushi Express, Sushiman, Sushi Shop, Sushizen, Sushi Aux 5 épices, Sushizen Grancy, Sakura, Sushi Métropole, Takasan, Takayama, Tian Tian Food, Thai Orchidée, Tokyo, Uchitomi.
Alentours (13) : Bambou (Pully), Dragon (Renens), Feng Ling (Le Mont), iSushi (Prilly), Haiku (Saint-Sulpice), Itoya (Crissier), Hokaido (Paudex), Ume (Epalinges), Sushis2Go (Pully), Takumi (Renens), Toriko (Saint-Sulpice), Wagyu (Lutry), Wok Royal (Prilly).
Fermé ou changé (26) : Akiko (fermé), Asia Express (Travaux), Au Gourmand (fermé), Jardin d’Asie (Takasan), Ichi-ban, Ouchy (Takayama), Ichiban, Marterey (fermé), Ekai (Mizumiy), Fusion by Sushizen (Sushizen Ramen), Haiku (Riponne, fermé), KaiZen (fermé), Mikado (Sushiman), Mi Sushi (Tian Tian Food), Mizumiy (fermé), No Sushi (fermé), Palace Sushizen (fermé), Sushi King (fermé), Sushiman (Cour et Flon, fermés), Taiyo (Sushi aux 5 épices), Taiyo Sushi Express (Kawaya ramen), Yakito (Trois-Bonheurs, fermé), Aux 5 épices à Pully (fermé), Hochi à Epalinges (New Hochi), Ko-An à Lutry (Wagyu), Komojapon à Renens (fermé), O-Sushi à Pully (fermé).
Sur les 44 établissements sur Lausanne et environs :
– 5 ont un chef ou propriétaire japonais.
– ils utilisent tous des produits toppings.
– un ou deux n’utilisent que très peu de produits topping.
– un ou deux sont au-dessus du lot.
– je recommande volontier 6 autres.
– je pourrais recommander 5 autres.
– 14 d’entre eux ne me donnent pas envie de tester ou d’y reoutrner.
– les autres se situent dans la moyenne, correct, sans intérêt, sans plus.
Je lis souvent des gens critiquer qu’à tel endroit, les chefs ne sont pas Japonais, mais Chinois, et que donc ils sont forcément moyens. Ils n’ont pas totalement tort, car souvent les Chinois sont plus motivés par l’argent que par la passion, mais pas tous. De plus, les établissements avec de vrais Japonais sont relativement nombreux à Genève, mais ce n’est pas le cas à Lausanne.
J’avoue en outre que c’est un argument souvent injuste, et qui équivaut à dire que seuls les Italiens sont capables de faire une bonne pizza.
Avez-vous également déjà visité le sacro-saint lieu de la cuisine française qu’est le restaurant Paul Bocuse ? C’est plutôt « United Colors of Benetton ».